Conference de Presse : Biya- Macron : Que comprendre des « surdités » du Président Camerounais ?
Question à Charles Boyomo Assala, Professeur Titutaire en Communication des Universités Françaises et Camerounaises
le président Paul Biya est connu pour être peu loquace -il parle peu- mais extrêmement disert en même temps du point de vue de sa communication orale. Ce sont là les deux faces de son Janus communicant. Sa densité expressive du point de vue de la face du conformisme juridico politique s’énonce sous le prisme de la production normative où elle ne se prive point de textes réglementaires de toutes natures remplissant ainsi les missions constitutionnelles de ses hautes charges à la tête de l’Etat.
C’est ce que le Pr Jean Marc Modzom a voulu exprimer dans sa thèse très médiatisée « sur les silences du Président » en élargissant le champ ouvert par les théoriciens de l’Ecole de Palo Alto dont l’aphorisme le plus vulgarisé est qu’on ne peut pas ne pas communiquer. sa geste discursive la plus étudiée et dont une des thèses les plus élaborées a été soutenue sur le front politique à l’université de Bordeaux Montaigne par Clebert Agenor Njimeni Njiotang en 2018 sur le discours de Paul Biya à l’ère du multipartisme au Cameroun. Cette deuxième face du Janus Biyaien qui symbolise l’avenir, résiste à l’exhaustivité et c’est pour cela qu’elle ne cesse d’alimenter les études. Il en a montré quelques espèces perlées lors de la visite du Préident Français Emmanuel Macron en terre camerounaise. En quelques répliques pas piquées de harnais, il a offert le champ illimité de son registre réthorique en maniant dans une seule répartie cinq des formules les plus illustratrices de son humour :
-l’ellipse;
-le paradoxe,
-la litote
-le dilemme
-la réticence.
1. « Je n’ai pas bien suivi votre question Madame quelqu’un voudrait-il bien la répéter à mon intention ? », dit le Président : En feignant de ne pas bien entendre la question de la journaliste, il laisse un doute à la fois sur la clarté de la question, sa capacité à en saisir le volume et en même temps l’incapacité et/ou la mauvaise elocution/foi de la personne qui questionne. C’est l’usage consommé à la fois de la réticence et de l’ellipse qui le conduit à prendre le pouvoir de l’énonciation en renvoyant les journalistes à leur propre intentionnalité.
2, «Le moment venu, je vous dirait si je brigue un autre mandat ou si je rentre au village ». En en disant peu pour en laisser son auditoire en deviner beaucoup il manie à la fois le paradoxe et la litote avec deux cibles croisées : premièrement le public français et européen dont la presse a popularisé l’image d’un président absent, toujours en séjour à l’étranger et peu soucieux du devenir de son pays; en même temps il rassure ceux de son pays et de l’Afrique qui s’inquiètent d’une incertitude quant à la solidité de son engagement pour l’avenir de la nation et de la sous-région et fortifie la foi des siens dont la sérénité comme celle de tous les camerounais a été ébranlée à juste titre par les rumeurs sur son état de santé et le vide au sommet de l’Etat; enfin il indique bien qu’il ne compte pas s’éterniser au pouvoir et assuré de son engagement pour une alternative démocratique et apaisée.
Le dilemme est un raisonnement qui contient deux alternatives impliquant deux choix impossibles; et la réticence est une omission volontaire qui invite l’auditeur à se faire complice de son raisonnement.
Dans le premier cas, Paul Biya met l’auditoire en insécurité communicationnelle en créant volontairement une tension auditive: il n’entend pas bien la question mais demande de répéter. Entendre ou comprendre, où situe-t-il le problème en réalité? La seule certitude est qu’il y a un problème et la journaliste est aussi confuse que le Président Macron qui en devient l’interprète improvisé. Dans le cas de la réticence il ne dit rien de son intention de briguer un mandat de plus mais invite la journaliste, porte-parole affectée d’une opinion française nourrie de préjugés sur la soit disant dictature camerounaise, à rester à l’écoute d’une situation qui semble préoccuper la presse française davantage que les Camerounais.
La rhétorique est une pièce maîtresse et une matrice théorique de la compétence communicationnelle du Président Biya. Elle ne se dévoile que partiellement à l’occasion de conjonctures particulières et expose la vigueur d’un esthète du politique qui semble s’être comme du bon vin, bonifié encore en vieillissant. Mais elle est loin d’avoir livré tous ses secrets.
Parlons plutôt de la rhétorique ironique
Propos recueillis par Simon METSENGUE