
Présidentielle 2025 : « le Pr. Kamto a une chance de prendre part à l’élection du Président de la République du 12 octobre 2025. A condition toutefois qu’il fasse la politique …»
Intervieuw du Dr Charly Noah, juriste camerounais et Magistrat auprès du TRIPAC à Lausanne en Suisse
Q – : 1- vous avez suivi de bout en bout le processus électoral jusqu’à la publication des listes des candidats par le conseil électoral de Elecam. Quel regard portez-vous sur la crédibilité de ce processus jusqu’ici ?
R – : Par le biais du Décret N°2025/305 du 11 juillet 2025 portant convocation du corps électoral en vue de l’élection du Président de la République, le Président de la République, S.E. Paul Biya, a officiellement lancé la course à l’élection présidentielle annoncée pour le 12 octobre 2025. Le contexte socio-politique camerounais, marqué par les dissensions au sein des partis politiques de l’opposition qui peinent à s’entendre autour d’une candidature unique pour affronter le RDPC, parti au pouvoir, a mis en ébullition à travers cette convocation du corps électoral l’opinion. L’un des faits les plus marquants reste, de notre point de vue, l’annonce de la démission du Gouvernement de la majorité présidentielle des Ministres de l’Emploi et de la Formation professionnelle Issa Tchiroma Bakari et du Ministre d’État chargé du Tourisme et des Loisirs Bello Bouba et respectivement Président du FSNC et de l’UNDP. Force est de conclure qu’il s’agit là, probablement d’un évènement qui marque un tournant dans le paysage politique camerounais.
Q – : La candidature du Professeur Maurice Kamto, l’un des candidats du MANIDEM, a été rejetée au motif de la « pluralité des investitures ». Que vous inspire ce rejet ?
R – : Le Professeur Maurice Kamto, candidat investi par l’une des factions du MANIDEM, est arrivé deuxième lors de la dernière élection du Président de la République organisée en 2018 avec un score de plus de 14% des suffrages exprimés, devant le candidat du Parti UNIVERS, Monsieur Cabral LIBII. Comme tout le monde le sait, ces résultats ont entrainé une importante vague de contestation et la décision, en 2020, du Pr. Maurice Kamto alors Président du MRC, de boycotter les élections municipales et présidentielles organisées la même année. Ce boycott a entrainé des conséquences telles que le MRC, alors présidé par le Pr. Kamto, a été privé de la possibilité d’avoir des élus lui permettant d’investir un candidat à l’élection présidentielle. Ce contexte ainsi posé de manière résumée permet de comprendre les raisons qui entrainent le rejet, en premier ressort, de la candidature du Pr. Kamto. Sans être un militant convaincu du parti politique jadis dirigé par le Pr. Kamto, il clair qu’il y a dans cette disqualification, comme une anomalie, que de voir écartée la candidature du candidat arrivé deuxième de la précédente élection du Président de la République.
Q – : Anicet Ekane reconnu par le MINAT et Dieudonné YEBGA ayant un acte de justice ont tous saisi le Conseil Constitutionnel. Pensez-vous que cette instance juridique saura les départager ?
R – : Monsieur Metsengue, je suis membre de l’Ordre Judiciaire Vaudois (OJV), et non prestidigitateur. À tel point que je me sens incapable de vous dire si le Conseil constitutionnel pourra départager les candidatures du MANIDEM. D’ailleurs, il faudrait déjà que les candidats en question déposent ces recours pour que le Conseil les examine. Ce qui n’est pas forcément garanti au regard du contexte. Notamment parce que, si vous vous rappelez bien de la campagne de l’élection du Président de la République de 2018, vous comprendrez que le MANIDEM, en tant que parti politique, a toujours soutenu et même battu campagne en faveur du Pr. Maurice Kamto à travers le soutien à la candidature de Maître Akere Muna qui a rallié le camp du Pr. Kamto.
Cela étant, à supposer que les candidats en question, recalés par l’instance inférieure (le Conseil électoral), ont remis leurs recours dans les délais, on peut élaborer plusieurs hypothèses à même de sceller le sort de ces deux candidatures. Et l’hypothèse la plus probable parmi les moyens à l’appui de ces recours pourrait être un conflit d’investitures. Dans ce cas, il convient, en premier lieu, de rappeler ce qu’est le Conseil constitutionnel ; de fixer les conditions dans les lesquelles il peut être saisi ainsi que les objets qui relève de sa compétence.
1 – Qu’est-ce qu’on entend par Conseil constitutionnel ?
Le Conseil constitutionnel est un organe qui relève de l’ordre constitutionnel (article 2 de la loi 2004_004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel). Il veille à la régularité de l’élection présidentielle, des élections parlementaires, des consultations référendaires et en proclame les résultats (article 3, al. 2 de la loi citée ci-avant).
2 – Le mode de saisine du Conseil constitutionnel ainsi que sa compétence d’attribution.
Le constituant de 1996 n’a laissé aucune marge de manœuvre au législateur de se prononcer sur la compétence du Conseil constitutionnel ainsi que de ses conditions de saisine. Voilà pourquoi il a sanctuarisé ces aspects au visa des articles 47, 48 et 49 de la Constitution.
En matière de la conformité des textes avec la Constitution, l’article 47 – 1 de la Constitution prévoit que :
Le Conseil Constitutionnel statue souverainement sur : – La constitutionnalité des lois, des traités et accords internationaux ; – Les règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat, avant leur mise en application, quant à leur conformité à la Constitution ; – Les conflits d’attribution : entre les institutions de l’Etat ; entre l’Etat et les régions ; entre les régions.
Cette disposition constitutionnelle enferme le juge constitutionnel dans son rôle de contrôleur a priori de la conformité des lois, des traités internationaux, les règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Sénat, avant leur mise en application, quant à leur conformité à la Constitution ; – Des conflits d’attribution : entre les institutions de l’Etat ; entre l’Etat et les régions ; entre les régions.
Les seuls habilités à saisir le Conseil constitutionnel dans les matières listées ci-avant sont : Le Président de la République ; le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, un tiers des députés ou un tiers des Sénateurs. Les Présidents des exécutifs régionaux peuvent saisir le Conseil Constitutionnel lorsque les intérêts de leur région sont en cause (article 47 – 2 de la Constitution).
Il est bon de préciser que dans les cas cités ci-avant, le Conseil constitutionnel se prononce a priori. Savoir qu’un texte passé en force n’est plus susceptible de subir l’examen du Conseil constitutionnel. Tel est par exemple le cas du code électoral actuel sur lequel le Juge constitutionnel ne peut plus se prononcer puisqu’il a déjà été promulgué.
En matière électorale : (article 48 de la Constitution)
D’après l’article 48 – 1 de la Constitution, Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité de l’élection présidentielle, des élections parlementaires, des consultations référendaires. Il en proclame les résultats. Cette disposition pose la compétence exclusive du Conseil constitutionnel en matière de l’élection du Président de la République (c’est notre sujet). L’alinéa 2 de la même disposition liste les personnes ou les institutions dotées de la capacité pour saisir le Conseil Constitutionnel. Ce rappel sur le rôle du Conseil constitutionnel, sa compétence et son mode de saisine permet de répondre à la question de savoir si cette juridiction sera à même de départager les candidats du MANIDEM.
De notre point de vue, le recours au Conseil Constitutionnel des deux candidats malheureux du MANIDEM rend l’affaire un peu plus complexe dans la mesure où il soulève la question de savoir si la Cognition du Juge constitutionnel statuant en matière du Contentieux électoral s’étend sur les conflits internes aux partis politiques Parties au processus électoral dont il a la charge de veiller à la bonne régularité comme rappelé ci-avant. Sans préjuger de ce que retiendra du dossier qui sera soumis au Conseil de céan, la réponse est non. Tout au plus pourrait-il (le Conseil Constitutionnel) éventuellement solliciter le concours d’un Juge d’appui. Dans cette hypothèse, la compétence du juge civil du ressort territorial (tribunal de grande instance du Wouri) pourrait être liée. Mais cette hypothèse s’effondre face à l’absence d’une base légale propre à encadrer une telle démarche. Il s’ensuit que le sort des deux candidats MANIDEM semble, hélas, scellé.
Q – : Est- Ce que le Pr Maurice Kamto a une chance de participer en tant que candidat à cette élection présidentielle qui aura lieu le 12 Octobre prochain ?
R- : Monsieur Metsengue, vous posez des questions très complexes. Tout est possible au regard du contexte socio-politique camerounais. Je n’aurais jamais mis mon doigt à couper à l’idée que Monsieur Anicet Ekane puisse faire alliance avec le Pr. Kamto, tenant compte de leurs postures idéologiques respectives. Or, cela est bien le cas. Si bien que qu’il faut se garder de tirer des leçons. Toutefois, oui, le Pr. Kamto a une chance de prendre part à l’élection du Président de la République du 12 octobre 2025. A condition toutefois qu’il fasse la politique et travaille à faire en sorte que l’autre candidat du MANIDEM renonce au contentieux par-devant le Conseil constitutionnel.
Propos recueillis par Simon Metsengue