Présidentielle 2025 : ” Pour des militants d’un parti politique qui s’est révélé en popularisant le slogan « faire la politique autrement », cette campagne de destruction des cartes électorales est une incohérence discursive de trop.”

Présidentielle 2025 : ” Pour des militants d’un parti politique qui s’est révélé en popularisant le slogan « faire la politique autrement », cette campagne de destruction des cartes électorales est une incohérence discursive de trop.”

INTERVIEW de
M. Manassé ABOYA ENDONG
Professeur titulaire de Science politique, Directeur exécutif du Groupe de recherche sur le parlementarisme et la démocratie en Afrique (GREPDA)

1.- De nombreuses personnes ont choisi ces jours de détruire leurs cartes d’électeurs et en publiant ces images sur les réseaux sociaux. Quel regard jetez-vous sur ce fait ?

D’emblée, il faut indiquer que la charge symbolique de ces modes populaires d’action politiques qui empruntent à la défiance et à l’indocilité est forte. En effet, le sens qu’on peut donner et l’interprétation qu’on peut en faire est tributaire d’une analyse qui intègre à la fois des éléments de synchronie et de diachronie. Il y a d’abord la part du narratif mobilisé par les fanatiques et inconditionnels de ce leader politique sur l’administration électorale au Cameroun. De nombreux morceaux choisis desdits narratifs préfiguraient déjà de cette forme de contestation violente, notamment lorsque des fanatiques du leader politique disqualifié par le Conseil électoral et le Conseil Constitutionnel prenaient à partie les institutions en charge d’organiser le scrutin présidentiel au Cameroun. Il y a eu ensuite le discours pessimiste du leader politique dont la disqualification suscite ces formes anti républicaines de contestation politique qui empruntent aux modes non conventionnels de participation politique. Ce discours résolument insurrectionnel prononcé à plusieurs occasions est une variable explicative de ce qui s’observe, notamment la campagne de médiatisation de la destruction des cartes d’électeurs. Enfin, il y a dans ces comportements politiques une forme de défiance politique contre les institutions de la République avec, en filigrane, un message clair : la disqualification de la candidature mal engagée du leader politique en question signifie pour ses fanatiques, que le changement n’est plus possible par le mode conventionnel de participation politique par excellence qu’est le vote. Par conséquent, la campagne de destruction des cartes d’électeurs est un message fort en direction des autorités en charge du maintien de l’ordre. Pour des militants d’un parti politique qui s’est révélé en popularisant le slogan « faire la politique autrement », cette campagne de destruction des cartes électorales est une incohérence discursive de trop.

2.-Ces actes sont –ils répréhensibles au regard de la loi camerounaise ? Si oui, à quoi s’exposent leurs auteurs ?

Cette forme d’incivisme et de contestation politique participent d’une mise à jour opportuniste des modes populaires d’action politique dont le caractère répréhensible reste problématique. Si le législateur condamne la destruction des armoiries, des billets de banques et « la profanation » des institutions et symboles de la République, la question du caractère répréhensible des actes de destruction des cartes électorales reste, de lege lata, discutable en l’état actuel du droit positif. La raison en est que la détention d’une carte d’électeur est une démarche volontaire dans un système juridique où le vote est optionnel et non obligatoire. Sous ce rapport, la destruction des cartes d’électeurs est une autre forme d’abstentionnisme, un substitut fonctionnel du boycott qui le législateur ne punit d’aucune peine. Donc, on peut assimiler ces actes à une forme active de boycott. Pris dans ce sens, le caractère répréhensible de ces actes reste discutable sauf si ces actes peuvent être qualifiés de trouble à l’ordre public en fonction de leur gravité et de leur mode d’expression individuel et/ou collectif.

3. Qui peut être fondé à engager cette démarche ?

Si la destruction des cartes d’électeurs se fait avec une violence de nature à perturber l’ordre, la tranquillité, la salubrité et/ou la sécurité publique, la police judiciaire peut être mobilisée en vue d’engager une action en incrimination des actes posés, selon qu’ils font ou non craindre des troubles à l’ordre public. Donc si la police administrative intervient en général à titre préventif pour prévenir justement d’éventuels troubles que pourraient faire craindre de tels actes, notamment lorsqu’ils se déportent sur la voie publique, la police judiciaire intervient quant à elle pour engager des poursuites judiciaires. Elle est donc fondée à engager une telle démarche le cas échéant.

4.– Quel peut être le rôle des autres acteurs sociaux pour mettre un terme à cette pratique ?

Il faut sensibiliser et éduquer les citoyens. Or, l’éducation à la citoyenneté est une affaire de toutes les composantes sociales. Cette pédagogie doit être populaire, régulière et constante. La méconnaissance des lois et règlements qui régissent les compétitions électorales fait le lit de toutes les formes de dérapages. Cette pédagogie n’est pas seulement une affaire de dirigeants politiques. Elle doit être l’affaire de tous. L’approche doit être inclusive. Il faut donc impliquer les acteurs de la société civile, les dirigeants politiques, les leaders des formations politiques, les médias pour prévenir ces comportements antirépublicains et inciviques.

Propos recueillis par Jean Francis BELIBI

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