Entretien  : Pr Aboya Manassé “La pensée politique du Président Paul Biya donne à découvrir une possibilité éprouvée, entre le dire et le faire…”

Entretien : Pr Aboya Manassé “La pensée politique du Président Paul Biya donne à découvrir une possibilité éprouvée, entre le dire et le faire…”

ENTRETIEN Avec Manassé ABOYA ENDONG, Professeur Titulaire de Science Politique et Directeur Exécutif du Groupe de recherches sur le Parlementarisme et la Démocratie en Afrique (GREPDA)

 

1-L’édition révisée du livre intitulé « Pour libéralisme communautaire : une pensée dynamique à la mesure des temps présents » vient de paraître, proposant une relecture de la version parue en 1987. Quelle est l’opportunité de la publication de ce nouvel ouvrage ?

La publication de cet ouvrage est une réécriture par l’auteur même de son propre livre dont la première édition date de l’année 1987. En effet, pour mettre en évidence « une pensée dynamique à la mesure des temps présents », ce choix de réécriture a naturellement cédé la place à une approche flexible, où l’auteur a intelligemment réussi à reconsidérer la logique préalable de ses choix, expérimenter de nouvelles idées et affiner sa vision transformatrice de l’Etat au Cameroun, notamment en ce qu’elle a de dynamique et de prospectif. Pris dans ce sens, l’élection présidentielle du 12 octobre prochain nous semble avoir été une opportunité décisive d’extérioriser les aspects revisités de sa pensée politique ou les grandes lignes de son projet de société, en vue d’éclairer les choix des citoyens-électeurs.

2-Comment peut-on résumer la pensée politique de l’auteur ?  

La pensée politique du Président Paul Biya donne à découvrir une possibilité éprouvée, entre le dire et le faire, de construire et d’implémenter une démocratie dans le contexte socio-culturel camerounais, en tenant compte de nos propres réalités. Cela permet ainsi d’appréhender le Renouveau comme la pensée politique du Cameroun, aussi bien du présent que de l’avenir. S’il en est ainsi, c’est parce que le programme politique, économique, social et culturel qu’il promeut est compatible avec les réalités socio-culturelles et anthropologiques du Cameroun. Et le grand mérite de cet ouvrage réside dans le choix lucide de l’auteur de confronter sa pensée politique à l’épreuve du temps, avec une ambition de consolider à l’intention des camerounais, voire d’un public plus large, les principes, les valeurs et les idéaux qui sous-tendent le projet de société qu’il a mis en œuvre, ainsi que sa pertinence au regard des enjeux d’aujourd’hui et de demain. C’est un projet de société dont la mise en œuvre a permis de dégager des leçons utiles pour le Cameroun d’aujourd’hui et de demain. D’où la suggestion fondamentale, notamment dans la perspective de la construction de la nation camerounaise, de se réapproprier cette pensée politique afin de donner un nouvel élan à la construction d’une société démocratique et prospère ; d’une société de liberté, d’égalité, d’épanouissement collectif et individuel, de responsabilité et de solidarité. En clair, la lecture de cet ouvrage permet au lecteur de saisir de manière cohérente l’historicité d’une pensée politique portée sur l’émergence du Cameroun.

3- En tenant compte du contexte électoral actuel dans lequel l’ouvrage est publié, est-il naïf de penser que c’est un message clair que Paul Biya passe aux électeurs ?

Dans la plupart des démocraties modernes, les candidats à la présidence publient généralement des livres-programmes pour s’arrimer à l’actualité de la campagne électorale, notamment en faisant partager leurs projets de société aux citoyens-électeurs. En choisissant de publier son ouvrage à la faveur du contexte électoral ambiant, le Président Paul Biya s’inscrit dans l’air du temps des professionnels avisés de la politique. Par la même occasion, il s’adresse aux citoyens-électeurs à qui son ouvrage est insidieusement destiné, comme une invite à découvrir son programme politique et d’aller voter en ayant pris connaissance du projet de société qu’il a pensé et implémenté, en vue de moderniser l’Etat du Cameroun et le conduire sur la voie de l’émergence.

4-Quelle différence fondamentale existe-t-il entre la version publiée en 1987 et celle qui vient d’être rééditée ?

La version publiée en 1987 était antérieure au retour du pluralisme politique au Cameroun, avec l’avènement des lois sur les libertés en 1990. De même, elle est antérieure à la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972 qui a pris en compte ces lois sur les libertés et prévu la mise en place des institutions représentatives, tout en consacrant le Cameroun comme un Etat unitaire décentralisé. La version rééditée est revisitée et augmentée à partir de ces nouveaux aspects. Mieux, elle se veut évaluative de la société démocratique camerounaise, pensée et implémentée par le Président Paul Biya.

5-En ce qui concerne le chômage des jeunes, la situation des travailleurs du secteur informel et de celle des femmes rurales, Paul Biya admet que les efforts fournis jusqu’ici demeurent insuffisants. Faut-il y voir un engagement à faire plus si jamais il est à nouveau élu au soir du 12 octobre prochain ?

Loin d’être un simple engagement à faire un peu plus en faveur des jeunes, il s’agit d’une détermination à ouvrir des pans entiers d’opportunités et des possibilités concrètes d’épanouissement professionnel, non seulement en faveur de cette catégorie sociale, mais aussi des travailleurs du secteur informel ou des femmes rurales. En effet, face au chômage, la démarche du Président Biya en faveur des jeunes, est globale et porte sur des aspects précis : la formation professionnelle, l’accompagnement technique, la création des institutions de financement de jeunes entrepreneurs, l’appui aux jeunes agriculteurs, les programmes spéciaux de recrutement dans tous les sous-secteurs de la fonction publique, le renforcement des incitations au recrutement des jeunes par les entreprises privées et aux investissements productifs des jeunes, etc. Naturellement, l’Etat continuera à jouer son rôle en tant qu’employeur en recrutant des jeunes bien formés pour ses propres besoins en personnels. Par ailleurs, conscient des nombreux défis auxquels elles sont confrontées, les femmes rurales sont priorisées dans les réformes instruites par le Président Biya pour améliorer leur accès à la propriété foncière, aux équipements (mécanisation, transformation), de même qu’aux possibilités de formation et de soutien à la commercialisation de leurs produits. Les mesures similaires pourraient être bénéfiques pour les travailleurs du secteur informel dont le chiffre avoisine 3 millions, si l’on s’en tient aux statistiques de l’INS. Un accompagnement incitatif leur permettrait de rentrer dans le secteur formel afin de créer la valeur ajoutée.

6-Il y a aussi ces aspirations des citoyens en matière d’éducation, de logements, d’infrastructures routières, etc., qui restent inassouvies, comme le reconnaît l’auteur. A votre avis, quelles mesures urgentes devrait-on prendre pour permettre au Cameroun de progresser dans ces différents domaines ?

Il faut largement saluer les efforts déployés par le Président Paul Biya en faveur du secteur éducatif qui représente plus du tiers des effectifs des agents publics au Cameroun. Les Ministères de l’Education de Base, des Enseignements Secondaires et de l’Enseignement Supérieur constituent l’ossature du modèle institutionnel, auquel on peut ajouter, le Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle. Le sous-secteur éducatif privé (laïc et confessionnel) complète le dispositif national, tous niveaux d’éducation confondus. Ce sous-secteur bénéficie des plus constants et des plus gros efforts financiers de l’Etat. Aussi, conscient du rôle de la puissance publique dans l’éducation de nos compatriotes, le Président BIYA promet-il des mesures appropriées pour améliorer l’image sociale de l’Etat dans ce domaine et valoriser davantage le rôle de l’Enseignant dans notre environnement. Cela passe par la création ou la multiplication des instances de dialogue entre les pouvoirs publics et les syndicats des enseignants, permettant entre autres de régler les aspects se rapportant à la définition d’un profil de carrière clair ou des mécanismes de formation continue, etc. S’agissant des infrastructures routières, il s’impose une nécessité de poursuivre la rénovation, l’extension et la maintenance du réseau routier national, en mettant une priorité pour les routes rurales. De même, le programme gouvernemental relatif à la Construction de 10 000 logements sociaux et d’aménagement de 50 000 parcelles constructibles dans 22 localités du Cameroun devrait être bouclé pour faire face à un déficit de logement avoisinant 3 millions d’unités, naturellement aggravé par l’expansion démographique.

7-L’une des réussites mises à l’actif de Paul Biya est celle du maintien de la souveraineté nationale sur les ressources naturelles, élément essentiel dans la préservation de l’indépendance économique des pays comme le Cameroun qui aspirent à l’émergence. Quelle analyse faites-vous de cette approche qui est d’ailleurs rappelée dans ce livre ?

Cette approche est conforme au patriotisme du Président Paul Biya et à sa vision politique qui permet au Cameroun d’aspirer légitimement à devenir un pays émergent à l’horizon 2035, avec un secteur industriel et minier fort. Ainsi, la sécurisation des ressources minérales (la bauxite, les diamants, le calcaire, le rutile, le cobalt et l’or) est fondamentale pour la souveraineté nationale du Cameroun, car ces ressources représentent un potentiel de croissance économique majeur. D’où l’option de constituer des stocks de sécurité pour certains minéraux, de même que le choix de la transformation locale.  En effet, la transformation locale renforce la souveraineté nationale en créant de la valeur ajoutée à partir des ressources du pays, en diversifiant l’économie, en réduisant la dépendance aux importations et en stimulant la croissance des entreprises locales. Cela consolide l’indépendance du Cameroun et accroît sa capacité à subvenir aux besoins de sa population.

8-Le secteur privé est à nouveau sollicité pour travailler aux côtés de l’Etat pour l’essor économique du pays. En quoi cette conjugaison d’efforts peut-elle véritablement contribuer à améliorer la croissance et les conditions de vie des populations ?

Le dialogue État-Secteur privé, doit s’entendre comme une modalité d’action concertée, de discussion et d’échanges constructifs devant favoriser une croissance soutenue et rapide de l’économie nationale. En effet, le rôle de l’Etat est, entre autres : de définir une politique économique réaliste et réalisable ; d’élaborer un plan d’aménagement du territoire susceptible d’offrir des opportunités d’investissement ; d’adopter une législation incitative des investissements privés productifs ; de mettre en place une justice économique diligente ; de lutter contre l’inflation à travers une politique monétaire rigoureuse, à travers un mandat qui a été donné à la banque centrale dans ce sens ; de faciliter le financement des projets de développement des entreprises ; de protéger l’espace économique national ; d’amplifier le levier budgétaire, notamment la commande publique de biens et de services adressée aux entreprises du secteur privé à hauteur, d’au moins 60% des ressources budgétaires disponibles ; de faciliter la création et la mise en place d’un marché de capitaux capable de soutenir le financement des entreprises sur le moyen et long terme. Par contre, il revient au secteur privé de porter des idées d’entreprises, de saisir les opportunités de créer d’investissements productifs, d’investir en mobilisant les capitaux disponibles sur le moyen et le long terme, développer la transformation industrielle des matières premières, développer l’exportation de produits manufacturés localement, d’approvisionner le marché national en produits finis et semis finis. Pris dans ce sens, le dialogue entre ces deux composantes doit être permanent et constant afin d’aspirer de manière légitime à l’émergence et à la prospérité du Cameroun à l’horizon 2035. La concrétisation de cette vision ambitieuse nécessitera un changement de paradigme afin de renforcer l’implication des investisseurs privés, aussi bien nationaux qu’étrangers, tel que prévu dans la Stratégie nationale de développement 2021-2030 dont l’objectif est de faire du secteur privé le moteur de la création d’emplois et de la transformation économique. Mieux, un secteur privé plus fort aidera le Cameroun à mieux exploiter ses ressources naturelles et à offrir davantage de perspectives économiques à sa population en pleine croissance, avec la contrepartie de continuer à parfaire l’amélioration du climat des affaires.

9-En matière de politique extérieure, Paul Biya réitère le vœu d’une humanité plus solidaire dans un contexte marqué par l’égoïsme des puissances dominantes. Cette démarche vous semble-t-elle pertinente ?

La pensée politique du Président Paul Biya en matière de politique extérieure est constante. En effet, sa vision politique est d’amener le genre humain à surmonter les passions, les égoïsmes et les antagonismes pour se recentrer sur l’essentiel, à savoir la survie. D’où ses appels incessants à la mobilisation de la communauté internationale en faveur d’un système multilatéral équitable, transparent, juste, et inclusif, notamment guidé par le dialogue, le règlement pacifique des différends, la coopération et la solidarité agissante.

10-Près de 40 ans après la première parution de l’ouvrage, peut-on dire que l’auteur, par ailleurs président de la République a fait ce qu’il a écrit ?

Près de 40 ans après la première parution de l’ouvrage, le Président Paul Biya est allé au-delà de ce qu’il a écrit, avec comme boussole une approche qui se veut à la fois stable dans ses principes et adaptable face aux défis sans cesse renouvelés auxquels son gouvernement est confronté. Pris dans ce sens, le Président Paul Biya a fait ce qu’il a écrit, et continue de le faire, car le processus de démocratisation au Cameroun est perceptible, même s’il s’amende, se corrige et se bonifie méthodiquement. C’est d’ailleurs un chantier qui fait intervenir plusieurs acteurs parmi lesquels, le peuple souverain, les pouvoirs publics, les partis politiques, la société civile, le parlement, etc. Bref, le système démocratique a ses acteurs et ses règles de jeu que ceux-ci – les acteurs bien sûr- travaillent inlassablement à améliorer. Il s’agit d’un système démocratique en construction qui a su répondre jusqu’ici aux exigences élémentaires d’un processus de démocratisation, c’est-à-dire offrir un cadre d’expression pour les droits et les libertés des citoyens d’une part, et garantir les conditions de la participation politique d’autre part.

 

11-Au vu de la corruption toujours rampante et de l’incivisme persistant, pensez-vous, comme certains que Paul Biya et son Libéralisme communautaire sont finalement des incompris au sein de la société camerounaise ?

La lutte contre la corruption demeure une priorité pour le Président Paul Biya, loin des présomptions d’incompréhension de sa vision à ce sujet. En effet, cette lutte mobilise un éventail large d’institutions publiques au premier rang desquelles se trouve le pouvoir judiciaire, c’est-à-dire l’ensemble des cours et des tribunaux de l’ordre judiciaire et de l’ordre des comptes. Plus concrètement, les dispositions de l’article 134 de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal, modifiée et complétée par la loi n°2019/020 du 24 décembre 2019 mettent en évidence la corruption active. Celles de l’article 134, alinéa 1 traitent de la corruption passive tandis que l’article 134, alinéa 2 énonce les exemptions de poursuites au profit de celui qui dénonce un acte de corruption. C’est dire que le Président Paul BIYA distingue bien la corruption stricto sensu des atteintes à la fortune publique dont le détournement de biens publics figure en première ligne. L’article 184 du même Code pénal punit d’un emprisonnement à vie le détournement de biens publics d’une valeur de 500 000 francs CFA. La loi est donc déjà dure envers les coupables d’atteinte aux biens publics. En promettant de relever le niveau de la lutte contre la corruption, le Président Paul BIYA voudrait susciter l’adhésion de tous à un ensemble de mesures à venir, en l’occurrence la modification future du Code pénal qui portera sur la répression de l’enrichissement illicite d’une part, et une plus grande protection des lanceurs d’alerte et des dénonciateurs des faits de corruption d’autre part. Par ailleurs le Président Paul BIYA voudrait également parachever le dispositif réglementaire d’application de l’article 66 de la Constitution portant sur la déclaration des biens et des avoirs. Après l’adoption de la loi d’avril 2007, le dispositif doit être complété par la désignation des responsables de la Commission nationale chargée, en vertu de la loi, de recueillir les déclarations des biens et des avoirs. Le Président voudrait ainsi faire savoir qu’il est temps de faire renforcer l’intégrité de certains acteurs en faisant adopter le code éthique et déontologique des élus du Parlement. Ce code éthique est prévu dans les dispositions de l’article 51 de la loi du 11 juillet 2018 portant code de transparence et de bonne gouvernance dans les finances publiques. Le Président BIYA voudrait ensuite faire savoir que la justification de l’origine est consubstantielle de la déclaration elle-même. Il faudra donc non seulement déclarer ses biens mais aussi et surtout en justifier l’origine. Ce volet est d’autant plus important que le blanchiment des capitaux issus d’origines illicites et douteuses s’est greffé sur le registre des autres infractions connexes de la corruption, etc. Il faut enfin indiquer que le relèvement du niveau de la lutte contre la corruption passe par la réparation juste et rapide au profit de l’Etat ou des institutions publiques victimes des actes de corruption et des autres infractions connexes. En somme, le relèvement de la lutte contre la corruption est une garantie de préservation de l’intérêt général. Ce relèvement mettra un terme à la corruption rampante et à l’incivisme persistant.

source : CT N° 13451/965052nd /52ème année 

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