l’heure des Bilans/Fru Ndi for rever : politique , Interview du professeur Manassé Aboya Endong

l’heure des Bilans/Fru Ndi for rever : politique , Interview du professeur Manassé Aboya Endong

INTERVIEW RETRO 2023

Professeur Manassé ABOYA ENDONG,

Enseignant de science politique et Directeur Exécutif du Groupe de Recherche sur le Parlementarisme et la Démocratie en Afrique (GREPDA).

 

En 2023, l’un des faits majeurs de l’actualité politique a été le décès du chairman du Social Democratic Front, Ni John Fru Ndi, pour qui le Président de la République a décrété des obsèques officielles. Comment analysez-vous toute la mobilisation et les hommages enregistrés suite à sa disparition ?

D’entrée de jeu, il faut souligner que le Cameroun est l’un des rares pays au monde à pouvoir décréter des obsèques officielles pour un leader de l’opposition. Cette démarche démontre à suffisance l’importance de la démocratie apaisée prônée par le Président Paul Biya ; une démocratie de tolérance, de convivialité et de respect mutuel entre les acteurs de la vie politique. En effet, le Chairman Ni John Fru Ndi est une figure emblématique de l’opposition camerounaise attachée aux valeurs républicaines, et respectueuse des règles du jeu démocratique. Sa participation régulière aux différentes consultations électorales majeures depuis l’ouverture démocratique amorcée en 1992, a fait de lui un leader très respecté de l’opposition. Ses échecs répétés durant plusieurs présidentielles successives face au Président Paul Biya n’ont entamé ni son moral, ni suscité en lui un quelconque sentiment d’animosité à l’endroit de quiconque. C’est ce leader politique emblématique, chairman du parti politique le plus influent, notamment de par sa présence discontinue dans les institutions représentatives de l’Etat, que l’ensemble de la classe politique ainsi que les républicains et les démocrates de tous bords, ont décidé d’accompagner à la faveur des obsèques officielles décrétées par le Président de la République en avril dernier.

 

L’année qui s’achève a également été caractérisée par la persistance des attaques sporadiques sur les civils dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Qu’est-ce qui explique que l’on mue progressivement de la rébellion armée vers ce qui s’apparente de plus en plus à des actes de prédation ?

La rébellion armée qui soutenait au départ les revendications sécessionnistes des extrémistes des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest avait pour objectif politique majeur d’aboutir à la création d’une éventuelle république autonome d’Ambazonie, assortie de sa reconnaissance internationale. Face à cette situation exprimée publiquement depuis 2016, le Président de la République Paul Biya a choisi l’option intelligente de vider le pendant politique de ces revendications, en y apportant des solutions concrètes et durables, au-ras-du-sol des préoccupations et des intérêts des camerounais anglophones. D’où la mobilisation d’une importante gammes de solutions techniques et politiques au rang desquelles : la promotion du bilinguisme et du sous-système Anglo Saxon en milieu francophone ; la nomination d’une anglophone au grand département ministériel des enseignements secondaires et d’un anglophone à la tête du très stratégique Ministère de l’Administration Territoriale ; la création d’une branche de la Common Law à l’ENAM et à la Cour Suprême ; la création de la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme ; la mise sur pied du Grand Dialogue National avec une emphase sur l’essentiel des revendications ; l’adoption de la loi portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées accordant expressément un statut spécial aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, de même que la création de la Chambre des Chiefs dans chacune de ces deux régions ; la multiplication des établissements scolaires bilingues sur le territoire national ; la désignation des médiateurs et conciliateurs sociaux indépendants (Independant Public Conciliators) ; la mise sur pied du plan de reconstruction présidentielle pour le Nord-ouest et le Sud-Ouest confié naturellement à un Camerounais anglophone ; la création du Comité National de Désarmement, Démobilisation et de Réinsertion (DDR) confié également à un anglophone ; la mise sur pied du Plan de Développement des Infrastructures de Bakassi, etc. A travers la pertinence de ces réponses spécifiques apportées, les racines politiques locales de ces revendications avaient ainsi été coupées, et leurs branches internationales se sont progressivement asséchées. Dès lors, le glissement de la rébellion armée vers les actes de prédation et de grand banditisme était inévitable. Aussi, ces actes barbares observés ici et là doivent-ils être rangés, davantage dans un registre incohérent de survie, que dans une motivation idéologique et militante d’un éventuel combat politique…

 

Comment en venir à bout ?

Le choix de l’option de venir à bout de cette situation a déjà été fait par le Président de la République, Chef suprême des forces armées à travers la décision d’y déployer les forces spéciales. Cette option prend en considération l’un des piliers fort de la réforme de l’armée opérée en 2001 et axée sur la professionnalisation. Elle tient également compte des aspects opérationnels du terrain dans les deux régions anglophones, du mode opératoire de ces terroristes ou ces milices armées, qui complexifient de temps en temps les moyens de riposte, permettant de sécuriser à la fois les personnes et les biens. En effet, le mode de combat sur le terrain a cessé d’être un maintien de l’ordre renforcé, contre des incursions sporadiques armées qui utilisent tous les moyens d’usure contre les forces de défense et les populations, n’hésitant pas quelques fois à utiliser ces populations comme des boucliers humains. C’est la raison pour laquelle la collaboration entre l’armée et la population est nécessaire, notamment dans le strict respect du couple Armée-Nation, et doit toujours être encouragée. Cela permettra d’avoir en temps réel le renseignement nécessaire et des informations utiles permettant d’assécher complètement les sources qui alimentent les acteurs de ces incursions sporadiques et meurtrières.

 

Au Parlement, la Chambre des comptes de la Cour Suprême a émis un avis défavorable au rapport général des comptes de l’Etat proposé par le gouvernement et présenté à l’Assemblée Nationale et au Sénat. De quel apport peut être cette institution dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale par les deux Chambres ?

D’emblée, il est très important de retenir que la Chambre des Comptes remplit quatre principales missions, à savoir : juger les comptes des comptables publics ; contrôler la légalité des recettes et des dépenses inscrites dans les comptabilités des administrations publiques ; certifier le compte général de l’Etat et les comptes des autres entités publiques ; évaluer la performance dans l’exécution du budget de l’Etat et des autres entités publiques. C’est ainsi que la Chambre des Comptes peut émettre des avis qu’elle décide de rendre publics le cas échéant. Pris dans ce sens, le type d’avis défavorable que vous évoquez peut porter sur l’ensemble du compte général de l’Etat. L’avis défavorable peut aussi porter sur certains points ou certains éléments particuliers du compte général. L’évocation de ces avis traduit à profusion que le rôle de la Chambre des Comptes est éminemment décisif dans le contrôle de l’action gouvernementale par le Parlement. Il est donc du rôle technique de cette institution de s’assurer du bon usage des fonds publics par l’Etat et d’en informer les citoyens. En effet, chargée de la vérification sur pièces et sur place de la régulation des recettes et des dépenses inscrites dans les comptabilités publiques, elle peut déceler et constater des fautes de gestion. Mieux, chargée d’assister le Parlement dans le contrôle politique de l’exécution des lois des finances, elle émet un avis technique sur le projet de loi de règlement. L’article 21 (1) de la Loi N° 2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime Financier de l’Etat et des autres entités publiques, énumère précisément les états et documents qui sont joints au projet de loi de règlement. Sur la base de ces documents, la Chambre des Comptes certifie la régularité et la sincérité des opérations budgétaires et comptables.  En le faisant, elle conforte le quitus que le Parlement donne par l’adoption du projet de loi de règlement.

 

Dans les partis politiques, 2024 est une année préparatoire aux élections prévues en 2025. Comment entrevoyez-vous l’animation de la scène politique au cours de cette période ?

Cette période a effectivement donné à observer une animation politique appuyée au sein des états-majors des partis politiques les plus représentatifs de la scène politique camerounaise. En effet, à la suite des tournées de sensibilisation de la base militante effectuées par le Secrétaire général du Comité central du RDPC sur les dix régions, les autres partis ont contribué à l’animation politique en mettant en évidence la démocratie interne en leur sein. C’est ainsi que le SDF et le MRC ont respectivement organisé leur Congrès national ou leur Convention nationale, renouvelant ainsi les structures de leur personnel dirigeant. Le PCRN est quasiment sur la même lancée, en dépit de quelques perturbations internes manifestement passagères. Cette animation politique appuyée indique à profusion que les principaux politiques sont en situation de démocratie de rodage électoral, et que l’année 2025 sera une année électorale très disputée, à la Présidentielle comme aux législatives.

 

source : Cameroon Tribune N°13010/9209 49ème année 

 

CATEGORIES
TAGS
Share This

COMMENTS

Wordpress (0)
Disqus ( )
error: Content is protected !!
%d bloggers like this: